Monsieur William BAZE s' inscrit, en 1923, à la
SOCIETE DE PROTECTION DE L' ENFANCE DE COCHINCHINE. Pour palier aux
charges importantes que cela nécessite, une demande de subvention à
l'état français a été faite. Le gouvernement d'alors accepterait
sous condition, que la S.P.EC. ne doit pas s'occuper uniquement des
enfants de la COCHINCHINE, mais, aussi ceux de l'ANNAM, du TONKIN et
bien entendu du LAOS et du CAMBODGE, c'est à dire de l' INDOCHINE.
A SAÏGON, le 2 Août 1939, est créée la fondation Jules BREVIE qui
deviendra la F.O.E.F.I.(FEDERATION DES OEUVRES DE L' ENFANCE
FRANCAISE D' INDOCHINE), pour laquelle il participera activement. La
F.O.E.F.I. sera reconnue d' utilité publique, le but de cette
organisation étant de coordonner l'action de toutes les oeuvres
philanthropiques réservées aux Eurasiens d' INDOCHINE (Orphelins et
enfants abandonnés à l'origine).
Dès 1939, des Eurasiens(nes) commencent à être rapatriés(es) en
FRANCE, et cela régulièrement.
Il prend la présidence de la FOE.F.I. après la chute de l' axe.
Après la chute de DIEN BIEN PHU, la F.O.E.F.I. accentue le départ
des Eurasiens(nes) pour la France.
Le problème qui se posait alors est: que deviendront les enfants qui
vivent avec leur mère? Quel serait l'avenir pour eux dans ce pays
qui pourtant est aussi le leur? Après consultation du comité d'
administration et un vote à l'unanimité, il a été convenu que l'on
demande aux mères de CONFIER leurs enfants à la F.O.E.F.I. afin qu'
ils puissent, en FRANCE; avoir un enseignement et une formation
professionnelle et assurer ainsi leur avenir.; C'est bien sûr un
déchirement pour la mère de se séparer de son ou ses enfants. Mais
quelle preuve d'amour pour leur(s) enfant(s) en leur offrant cet
opportunité de ne pas vivre dans un pays incertain pour les "tây
lai" du fait qu' ils seront rejetés, soit par une partie de la
famille, soit par la population, et bien entendu quel avenir
auront-ils? C'est pour cette raison que les enfants Eurasiens ne
peuvent être adoptés.
Madame Marguerite GRAFFEUIL
(avril en 1987)
William BAZE est né à SAIGON le 7 Août 1899. Son père était riziculteur dans le Sud-Annam.Il s'est marié avec une jeune fille, originaire du Tonkin, Mlle Yvonne de MIRIBEL, fille de l' ancien RésidentSupérieur de France du Tonkin. N' ayant pas eu d' enfant, il a recueilli quatorze orphelins qu' il a élevé sans aide jusqu'à leur majorité.
ACTIVITES SOCIALES
Orphelin très tôt, W.BAZE a toujours eu à coeur de secourir l' enfance malheureuse. Il s' inscrit, en 1923, à la SOCIETE DES PROTECTIONS DE L' ENFANCE DE COCHINCHINE, avant d'étendre sa sollicitude aux pupilles des Sociétés similaires de VIÊT-NAM, du CAMBODGE et du LAOS. Mais les moyens limités de ces associations ne permettent pas d' assurer aux enfants l' instruction que réclamme un avenir normal. Pour cette raison, contribue activement à la création, en 1938, de la FEDERATION DES OEUVRES DE L' ENFANCE FRANCAISE D' INDOCHINE (F.O.E.F.I.) qui sera reconnue d' utilité publique, le but de cette organisation étant de coordonner l' action de toutes les oeuvres philanthropiques réservées aux Orphelins et Enfants abandonnés. La FEDERATION, dont il reprend la présidence, après la capitulation de l' AXE. Elle donne à la France, pendant plusieurs années, des intellectuels de valeur (magistrats, médecins, avocats, ingénieurs, professeurs, etc...), ainsi que des techniciens de choix (infirmières, secrétaires, techniciens, ouvriers spécialisés, etc...).
Bien que nous connaissions tons l'histoire de l'Indochine, je crois nécessaire de rappeler comment la présence française prit naissance sur le sol indochinois. Ce sont les Pères des Missions Étrangères qui commencèrent à faire connaitre le nom de notre pays. Ils créèrent des Missions prospères trois siècles avant que PARIS ne cherche à entrer en relations officielles avec les souverains de l'Empire d'ANNAM. Napoléon III envoya un corps expéditionnaire qui marqua le début de notre installation politique. Les jeunes soldats français eurent des relations avec les femmes du pays. De ces unions mixtes naquirent les premiers métis franco-indochinois que leurs pères, militaires de carrière; étaient contraints d'abandonner au gré de leurs mutations, ne pouvant les emmener avec eux. Il y eut, certes, de grands déchirements affectifs mais il était impossible de les prévenir et difficile de les guérir. Les mères autochtones entouraient leurs enfants d'une profonde affection mais elles ne pouvaient pas toujours leur donner les coins dont ils avaient besoin, ni l'éducation souhaitable. Les missionnaires portaient secours aux eurasiens mais le nombre croissant des enfants abandonnes dépassait leurs moyens. Les pouvoirs publics comprenaient parfaitement qu’il y avait un problème nuisant au prestige de la France. La situation incita les Missionnaires à faire appel à des Œuvres religieuses de France pour qu'elles viennent s'installer en Indochine ou elles se préoccupèrent avec courage du sort des enfants abandonnes, tandis que sur le plan local des hommes de bonne volonté créaient des Associations laïques poursuivant le même objectif. Il est bon, je crois, de citer les noms de ces Œuvres: - Les Sœurs de Saint-Paul de Chartres. Sœur Marie de la Nativité LARUE et Sœur Saint-Lizier BELLONGUE, parties de France le 10 Mai 1860, débarquèrent dans le courant de l'année et fondèrent la maison de la Sainte Enfance de CHOLON (Cochinchine) qui recueillit des enfants abandonnes, fillettes et garçonnets. Les Sœurs de Saint-Paul de Chartres installèrent des maisons dans diverses provinces, puis un beau Centre d'accueil a DALAT (ANNAM) à 1500 mètres d'altitude. - Les Frères des Écoles Chrétiennes arrivèrent en Indochine en 1866. Ils fondèrent l'École Mossard a THU-DUC (Cochinchine), l'Institution Taberd à SAIGON, l'École Pellerin à HUE (ANNAM), l'Institution Saint-Joseph à HAIPHONG (TONKIN), l'Institution Puginier à HANOI. La construction de tous ces Établissements exigea des années d'.efforts. Mais les enfants abandonnes y trouvèrent des asiles bienveillants. - Les Sœurs de la Providence de Portieux arrivèrent en Indochine en 1876. Elles fondèrent le Foyer Culao-Gien (Cochinchine), avant de s'installer au Cambodge en 1885, ou deux d'entre elles les avaient devancées. Infirmières de métier, elles avaient été appelées a l'aide pour lutter contre une épidémie de peste. Celle-ci enrayée, le Roi Norodom leur suggéra de créer une maison d'accueil a PHNOM-PENH pour les enfants malheureux. IL leur donna, dans ce but, un vaste terrain bien situe. La maison d'accueil terminée, les Sœurs reçurent des enfants cambodgiens, mais aussi des petits eurasiens. Elles bénéficièrent du soutien d'une personnalité connue, M.GRAVELLE, que remplaça ensuite M.LAMBERT. Au TONKIN fut créée la Société d'assistance aux enfants franco-indochinois en 1897. Puis ce fut en ANNAM la Société de Protection des métis en 1905, en COCHINCHINE la Société de Protection de l'Enfance de CHOLON en 1908, au LAOS la Société d'Assistance aux Métis en 1908 et, au CAMBODGE, la Fondation Gravelle, du nom de son bienfaiteur en 1909. En 1926, les Religieuses de Notre-Dame des Missions s'installèrent à THANH-HOA (ANNAM), puis un groupe d'entre elles fut transféré à LANG-SON (TONKIN) en Août 1935, avec Mère Sainte-Jeanne d’arc comme Supérieure. Dans ce poste frontière sino-tonkinoise, les enfants eurasiens étaient nombreux, auxquels s'ajoutaient ceux des postes périphériques de la Haute Région. Mère Sainte-Jeanne d'Arc s'acquitta de sa tâche avec un grand courage. De 1940 à 1945, elle dut souvent faire face aux Japonais. Quand ceux-ci prirent tous les pouvoirs, elle évacua les enfants sur HANOI, puis sur le CAP-ST-JACQUES lors de l'emprise Vietminh. - Les Soeurs de St Vincent de Paul arrivèrent en Cochinchine en 1928 et s'installèrent a GIA-DINH. Elles fondèrent plusieurs Maisons: celle de THU-DUC, la pouponnière de SAIGON, celle de NHA-TRANG et de QUI-NHON en ANNAM. Sœur DURAND, visitatrice au grand dynamisme, se consacra A faire du Domaine de Marie a DALAT (ANNAM) un établissement spacieux, unique en son genre, qui recueillit et forma de nombreux enfants. Beaucoup firent des études techniques conformes à leurs aptitudes ou se préparèrent aux études d'infirmières pour entrer dans leur École de SAIGON. Les plus douées étaient admises à titre gratuit au Couvent des Oiseaux ù elles pouvaient poursuivre des études secondaires. Les œuvres religieuses et laïques couvraient, de cette façon, l'ensemble du territoire de l'Indochine et assuraient l'accueil de milliers d'enfants abandonnés. Ceux-ci par contre, à l'exclusion de rares exceptions, n'avaient pas la possibilité, faute de crédits, de dépasser le niveau des études primaires. Les œuvres n'avaient pour ressources que des souscriptions, des cotisations et des dons. Les enfants assistés n'abordaient donc la vie qu'avec des emplois modestes. Condamnés à des fonctions subalternes, ces malheureux constituaient un groupe de parias dont ils auraient souhaité s'affranchir.
En 1923, devenu Directeur des plantations de XUAN LOC, je me
joignis à ceux qui animaient la promotion des EURASIENS, comme le
Père SEMINEL à qui nous devons tant, Sœur DURAND et beaucoup
d'autres encore. Nos ressources restaient cependant fort limitées et
nos résultats étaient faibles quand, en 1937, M. Jules BREVIE, nommé
Gouverneur Général de l'Indochine, rejoignit son poste. Il prit
aussi tôt conscience du problème eurasien et, après une vaste
enquête, il convoqua à SAIGON une Commission où siégèrent des
notabilités indochinoises. Ses travaux aboutirent à la création d'un
organisme central chargé d'aider financièrement les Œuvres
religieuses et laïques.
Au cours de nos conversations, M. Jules BREVIE m'avait dit qu'il
souhaitait que la Fondation disposât d'une source de revenus qui lui
soit propre, des placements immobiliers, par exemple. Je lui
suggérai la création d'une plantation d'hévéas de 500 Hectares, dont
les revenues permettraient d'alimenter nos œuvres et de constituer
des réserves. Il accepta avec beaucoup de satisfaction ma
suggestion. Je choisis un terrain de 500 hectares A BLAO,
particulièrement bien place, car il était couvert de bambous nains
faciles à défricher, et sa pente le mettait à l'abri des
inondations. M. BREVIE ainsi que les membres de notre groupement le
visitèrent avec moi. Mon choix fut retenu. La Fondation serait
responsable de la gérance de la plantation, sous le contrôle d'un
ingénieur agronome et du commissaire aux comptes.
Malheureusement la guerre menaçait et M. BREVIE dut regagner PARIS
en Août 1939. Avant de nous quitter, il put nous annoncer que le
ministère avait décidé d'approuver notre Fondation. Une subvention
annuelle, payable par trimestre, lui était allouée. C’était un grand
succès, mais la création de notre plantation fut repoussée à la fin
des hostilités et elle resta à l'état de projet. C'est bien
regrettable car l'indépendance qu'elle aurait assurée à la Fondation
lui aurait épargné toutes les difficultés qu'elle a rencontrées au
cours de sa carrière.
Mon vœu le plus cher aujourd'hui est que les Eurasiens, qui
ont acquis des situations souvent très belles en France,
comprennent qu'ils doivent leurs succès à un homme de grand cœur,
le Gouverneur General Jules BREVIE. Ils ne devront jamais
l'oublier.
Pendant la durée des hostilités, la Fondation put assurer sa tache
sur le territoire indochinois. Ses enfants accédèrent A de nombreux
emplois administratifs, commerciaux, industriels ou agricoles. Mais
le 9 Mars 1945 les Japonais éliminèrent brusquement tous les
Français et l'organisation eurasienne se trouva disloquée. Après de
nombreux exodes, qu’il serait trop long de rapporter ici, les uns et
les autres finirent par se regrouper. Moi-même emprisonné à la
Kampetai japonaise, je ne fus libéré qu'a la fin du mois d'Août
1945. J'obtins du General LECLERC le rétablissement de nos
pensionnats. Mais il nous fallut supprimer le nom de Jules BREVIE, à
qui était reproche sa collaboration avec le Marechal PETAIN. C'est
ainsi que notre Œuvre devint la Fondation eurasienne, puis la
Fondation Fédérale eurasienne et enfin la Fédération des Œuvres de
l'Enfance Française d'Indochine, dont les statuts furent approuves
par le Décret du 25 Juin 1953. En plus des Eurasiens, elle étendait
son action aux Français et aux autres enfants d'origine mixte en
provenance de l'outre-mer.
En 1947, les pupilles commencèrent à être évacués vers la France où
Madame GRAFFEUIL organisa leur accueil. Nous fûmes aidés par les
services du Ministère de la France d'Outre-mer. Mais il apparut très
vite la nécessite de créer un organisme spécialisé et indépendant
qui s'installa, en 1954, 7 rue Washington, où un appartement fut
acheté. C'est là qu'entra en fonction l'organisme à qui vous avez
apporté vos conseils éclairés et dont nous sommes en train de
prononcer la clôture. C'est une tache bien douloureuse. La rue
Washington nous rappelait encore un peu cette terre d'Indochine que
nous avons tant aimée.
Avec la Fédération disparait peut-être le dernier lien officiel
qui rattachait la France aux lointaines terres d'Asie.
Heureusement il reste les Eurasiens, et je crois que nous pouvons
être fiers de les avoir aidés a devenir des Français de qualité.